Le déficit public se préparant à casser le plafond des 6%, le gouvernement cherche à renflouer les caisses dans son budget 2025. Suppression de 4.000 postes de professeurs, taxe sur l’électricité, impôt sur les grandes fortunes, augmentation du prix des mutuelles… D’autres idées? Oui! Quitte à sans cesse avoir pris l’Allemagne comme modèle économique durant la décennie 2010, il y a bien une taxe qui pourrait inspirer Michel Barnier chez nos voisins d’outre-rhin. Taxer les propriétaires de chiens.
Si vous avez un corgi, un teckel ou un berger allemand de l’autre côté de la Moselle, il faut en effet passer à la caisse. Comptez en moyenne 120 euros pour avoir un chien à Berlin et 102 euros à Francfort, renseigne Les Echos dans un article. Le toutou est imposable dès trois mois et le prix varie selon la race: comptez ainsi plus de 1.000 euros annuels à Nuremberg si vous avez un chien de combat. La mesure est un succès économique: 421millions d’euros rapportés en2023, soit des recettes en hausse de 40% en dix ans.
Un milliard d’euros de recettes et quelques arguments
Une telle taxe pourrait exister en France? 9.712.324 chiens ont été identifiés en2023 selon le fichier national d’identification des chiens, des chats et des furets. A 100 euros de moyenne la taxe annuelle sur le chien, voilà quasiment un milliard trouvé (vous pouvez arrêter de supprimer des postes d’enseignants, merci).
Sur le principe, l’idée ne serait pas non plus aberrante. «Le propriétaire du chien ne paie pas la totalité des coûts», rationalise François Lévêque, professeur d’économie à Mines Paris Tech et qui s’est penché sur l’économie autour du canidé. Non seulement la commune paie certains aménagements, comme les parcs canins ou même des distributeurs gratuits de sac à déjections canines dans certaines villes comme Clamart ou Rennes. Mais ces fameuses crottes ont aussi un coût. «Certes, de plus en plus de maître ramassent et jettent, mais non seulement il y en a encore qui ne le font pas, mais même le traitement de ces déchets non transformable a un prix», explique l’enseignant, citant également d’autres conséquences fâcheuses de nos amis les bêtes sur les dépenses, notamment les éventuelles morsures.
Quel sens donne-t-on à l’espace public?
Clément Carbonnier, codirecteur de l’axe de recherche Politiques socio-fiscales du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publique à Sciences Po, temporise toutefois: «S’il faut que les propriétaires de chiens paient pour l’ensemble du parc canin, que les vélotaffeurs paient pour les pistes cyclables, ou seulement les parents pour les parcs à jeux pour enfant, on perd le sens de l’espace public.» Pour l’économiste, les finances publiques locales et taxes de commune doivent servir pour des… services publics, même si tout le monde n’en a pas usage. «Sinon, on obtient des "clubs locaux": chacun paie sa part et à son propre espace.»
L’Allemagne a néanmoins un autre argument pour cette taxe remontant à plusieurs siècles. A l’époque, la Prusse considérait que quiconque avait de quoi payer une boule de poils avaient encore deux ou trois sous en plus à donner à l’Etat-nation. Et en effet, à 1.000 euros le coût d’entretien d’un chien en moyenne en France, on pourrait se dire que les propriétaires ont les moyens pour une petite taxe supplémentaire.
Taxez les riches, pas les propriétaires de toutous
Audrey Jougla, professeure de philosophie et spécialiste du rapport entre l’homme et l’animal, dément l’idée: «Tous les propriétaires de chiens ne sont pas aisés, ni n’ont les moyens de bien traiter leurs animaux. De nombreux chiens appartiennent à une population urbaine défavorisée.»
Autre grief, «si on veut taxer plus les riches, il existe un formidable outil: l’impôt sur le revenu», sourit Clément Carbonnier. Et en version non sarcastique: «Taxer plus les propriétaires de produits soi-disant de luxe montre vite des limites pour une meilleure redistribution.» Premier grief, s’il existe une corrélation entre le niveau de richesse et la consommation de certains biens, «cette dernière n’est jamais parfaite et contient toujours des exceptions». Ensuite, «l’intérêt des taxes est la méthode inverse: être très uniforme, pas équitable mais rapporter beaucoup. Pour le côté progressif, il vaut mieux imposer les revenus et le patrimoine.»
Une mesure beaucoup trop impopulaire pour voir le jour
Mais inutile de débattre plus longtemps du bien-fondé ou non de cette mesure, tant cette dernière n’a en réalité aucune chance de surgir du budget 2025. L’argument massue? Son immense impopularité. Audrey Jougla: «Aujourd’hui, l’animal de compagnie, et particulièrement le chien et le chat, est vécu comme un membre à part entière de la famille. Il y a un rapport un peu excessif dans la place qu’il peut occuper, pas forcément saine pour l’animal non plus d’ailleurs. Mais ce dernier semble difficilement touchable politiquement.»
En France, 32% des foyers possédaient un chien en2023. Difficile donc d’imaginer le gouvernement se lancer dans une mesure peut-être encore plus décriée que la réforme des retraites. «Les propriétaires de chiens seraient très en colère, et les Français n’en ayant pas ne seraient même pas contents ou soulagés de cette taxe. Ce ne serait pas un bon calcul politique.» Au contraire même, «de nombreux députés proposent des amendements pour subventionner les propriétaires d’animaux domestiques, notamment avec l’inflation», souligne le professeur. Le pays est donc très loin d’une taxe sur les toutous, leurs maîtres peuvent pousser un (w)ouf de soulagement.